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Mes
amis de descente
Un peu d’histoire et des amis
Mes parents nous emmenaient toujours passer les vacances près d'un lac ou
une rivière.
Dès 7 ans, nous pagayions dans un petit bateau gonflable. Vers 14
ans j'ai eu la chance qu'un voisin de vacance, en Ardèche, me fasse essayer son
kayak et comme je me débrouillais bien, me le prête. J'ai aussitôt voulu en
faire plus, d'autres personnes m'ont appris à esquimauter.
De retour à Millery, banlieue sud de Lyon, j'ai voulu trouver un club, ce
fut Chuzelles. M. Fleury, très dévoué, s'en occupait. Comme il était professeur
dans un lycée automobile et donc connaissait très bien la mécanique, il a
acheté un vieux bus! Nous avons beaucoup voyagé vers de nombreuses
compétitions.
Puis, j'ai voulu pagayer tous les jours, j'ai pu le faire avec
le club de La
Mulatière. Là il y avait de vrais spécialistes de
la compétition, le Conseiller
Technique Régional M. Doux, était tous les soirs
présent. « L’entraînement » ce mot
ne m’a jamais plu : il fait sortir de
la situation d’homme normal vers une situation
d’exception : de
compétiteur, de champion, comme si cela avait de
l’importance. Après que j’ai
pagayé, ma mère qui travaillait à Lyon me prenait
au club pour me ramener à la
maison. Elle arrivait souvent tard, travaillant beaucoup et gagnant peu
(elle
était directrice d’une petite école privée,
bien située et florissante au
début, mais qui avait dû déménager dans un
quartier un peu sordide). Pendant ce
temps, j’attendais seul entre le fleuve et l’autoroute,
dans le noir et après
les festivités de la Traversée de Lyon, qui correspondait
à la date du
Beaujolais nouveau, je m’appliquai à finir le tonneau.

Au milieu sur la photo je ris, les autres compétiteurs
ont l'air sérieux, anxieux: ils se sont laissés convaincre
que la participation à des situations d'opposition (des
compétitions) faisait d'eux l'élite de la société.
Dans leur jeune quête d'identité, ils ont accepté un
modèle marginal, inadéquat.
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On laisse dépendre notre statisfaction de cela.
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Laisser dépendre sa satisfaction d'un résultat n'est
pas une bonne stratégie pour atteindre le bonheur. Combien
étions-nous à vouloir garder notre indépendance d'esprit?
Rester prêts à l'amitié à l'entraide? Ceux qui aiment
la compétition d'après les études statistiques venant
de la sociologie, de la santé publique et finalement
des université de sport (Ufrstaps) sont 20% de la population,
sur ces 20%, peut-être 3% de compétiteurs et 17 de supporters?,
pour 70% de la population le sport n'est pas la compétition,
10% ne se sentent pas concernés. Ces 3% de compétiteurs
sont
majoritairement des enfants, les adultes et surtout
les professionnels ne sont qu'une part infime. Combien
y en a t'il assez indépendant pour conserver les attitudes
normales de la vie et du sport: comme prêter son matériel
à ses concurrents directs, partager son savoir et ses
conseils en dehors du microcosme que forme le club,
l'équipe?
Ils sont peu mais existeront toujours,
ils sont transplantés là comme par hasard ou par erreur,
repérés à cause de leur rapidité par les adultes qui
veulent opposer les enfants les uns aux autres, par vice ou pour justifier leur salaire. Ils sont coincés
dans ce monde à part jusqu'à ce qu'ils arrivent à s'en
sortir.
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A La Mulatière (à coté de Lyon), l'état
d'esprit était libre et convivial. On ne reprochait à
personne ses
convictions et ses désirs. Ceux qui faisaient de la
compétition s'entraînaient
avec ceux qui n'en faisaient pas. Nous étions le plus souvent 3
ou 4 à
s'entraîner chaque soir sur le parcours de 4 km entre les piles
du Pont Pasteur
et les piles de Pont de chemin de fer de Perrache, vers 6 heures du
soir. Nous
allions parfois aussi vite que les automobiles prises dans les
embouteillages
de l'Axe nord-sud à l'heure de pointe, et nous respirions les
gaz
d'échappement. Par vent du Sud, nous avions les odeurs parfois
infectes des
usines de Feysin. Le Rhône aussi avait une odeur pas très
claire mais beaucoup
moins que la Saône sur laquelle flottait fréquemment
du mazout. C’est
moins pollué maintenant.
Les partenaires de ces entraînements étaient
adultes : Jean-Louis Bougault puis Jean-Paul Gardette, Michel Doux,
Jean-Marc Chaze et moi qui avait 14 ans. Alain Barnérias venait de temps
en temps, ainsi que Henri Viboux qui ne faisait pas de compétition. Nous
attendions à chaque moitié de parcours que les moins rapides nous
rejoignent et nous repartions à fond.
Ce n'était pas comme cela que la médecine disait que les jeunes devaient
s'entraîner et les adultes se faisaient un peu de soucis pour moi: il aurait
fallu que je m'entraîne plus doucement, en endurance. Puis la médecine a changé
d'avis: si l'effort dépassait 6 minutes, c'était forcément de l'endurance, cela
a rassuré tout le monde et nous avons continué à faire pareil : à fond. Il
y avait une très bonne ambiance puisque autant on fonçait, autant on
s'attendait.
Jean-Marc, qui avait fait des études de médecine, me parlait beaucoup de
physiologie pendant les entraînements et j’ai pû passer le brevet d’Etat de
moniteur de kayak presque sans rien apprendre de plus.
Gérard Aubriot, Gilbert Guillard ne faisaient plus à cette époque que du
slalom et s’entraînaient peu. Mais étaient très prodigues en conseils.
Tout le monde m'acceptait chez les grands. Il y avait des jeunes de mon age,
mais ils s’entraînaient moins et cela faisait une différence et avec eux, je
sentais plus de concurrence.

2 personnes dont j'ai oublié le nom, à droite
Gilbert Guillard. Gagner procure certainement de l'excitation,
peut-être du plaisir, notre rire dépend j'espère, plus
du bonheur d'être là, ensemble.
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Il n'y avait pas d'entraîneur officiellement nommé, statutairement défini.
Pour moi qui aime le savoir partagé, le progrès mais peu le pouvoir, encore
moins celui d'un type désagréable qui en
plus manquerait de compétence, c'était un état d'esprit assez extraordinaire et
qui est certainement pour quelque chose dans le fait que j'étais accroché.
Dans ces conditions il était très normal que je fasse un week-end sur 2
une compétition et l'autre week-end un sortie en rivière, parfois une première.
J'ai eu maintes fois l'occasion de constater que cet état d'esprit libre,
respectueux de la volonté de chacun était loin d'être la norme dans le monde de
la compétition.
Bien des groupes suivaient un entraîneur que l'on qualifierait de dictateur
s'ils avaient fait de la politique. L'ensemble du monde de la compétition est
régit par des règles contraignantes qui n'ont de sens que parce qu’elles
permettent d'opposer les humains et principalement les enfants entre eux, et ça
ce n'est pas bon.
Oui principalement les enfants car dans les compétitions il y a beaucoup plus
d'enfants.
Les adultes ne veulent pas plus directement s'opposer mais ils sont
entraîneurs, parents ou supporters.
Est-ce une bonne éducation d'opposer les enfants entre eux? Certainement pas
mais sur beaucoup d'adultes pèse le poids des modes sociales et le poids
de la nature animale dans laquelle l'opposition a une grande importance.
Devenir un être humain, c'est s'élever au-dessus de cette nature animale et des
modes sociales qui en découlent.
J'ai donc souvent été opposé par des adultes à d'autres jeunes. Cela n'a jamais
été un plaisir pour moi, au contraire: je voyais bien que l'amitié entre nous
ne se développait pas normalement comme elle se développe à l'école ou dans les
centres aérés.
Mais j'aimais aller vite, et deuxième "mais": les adultes me félicitaient et
m'admiraient et un enfant c'est fait pour suivre les adultes, sinon l'éducation
serait impossible. L'enfant suit les adultes, que ce qu'ils lui font faire soit
bien ou mal.
Plus tard et pas toujours, l'enfant devenu grand peut critiquer le résultat
de son éducation: sa manière d'être. J'ai donc mis longtemps à comprendre que
ce qu'il y avait de fondamentalement mauvais dans la compétition bien qu'elle
soit respectée, honorée, financée, c'est très simplement que l'on oppose
les humains entre eux.

Ici: La sérénité la paix le bonheur du vrai sport.
L'entraide, surveiller l'autre autant que soi-même,
prêter son matériel, partager ses connaissances sont
ici normal, sans restriction, sans limitation. Roger
Léveillé est à gauche de l'image.
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Un week-end sur 2 nous célébrions la vrai vie: l'entraide, l'amitié:
Roger Léveillé du Touring Club de France de Lyon m'emmenait avec sa
famille descendre des rivières en compagnie de Michel Bodois, M. Brun, Henri
Fournet puis Roger Redon.
Nous avons fait plusieurs premières. Il n'y avait que des bons cotés. Dans ma
vie d’adolescent, cela allait un peu moins à cause d’une éducation un peu vieux
jeu, pleine de permission mais avec des interdictions parfois implicites
notamment dans mes relations.
Les 2 chocs pétroliers ont fait fermer la station de recherche agronomique de
l'INRA où travaillait mon père, il a du partir à Avignon, et nous nous sommes
retrouvés dans le sud.
J'ai alors souvent pagayé avec l'excellente équipe de Nîmes: René Montjauze,
M. Magdinier, Paul Lautard , Malassagne, Frilet. Ils m'ont emmené sur le
Haut Tarn, dont ils avaient fait la première et de nombreuses autres
rivières des Cévennes.
En revanche, avec les entraîneurs de compétition locaux, cela n'allait pas et
j'ai vu la situation se dégrader: le Conseiller technique donc employé Jeunesse
et Sport dont la fonction lui interdit normalement d'intervenir dans le jeu
démocratique, faire des pieds et des mains pour évincer le Président de la
ligue M. Mercader pour la seule raison qu'il souhaitait que le compétition ne
prennent pas trop de place sachant que la plupart des pagayeurs n'étaient pas
des compétiteurs.
C’est vers cette période que j’ai accédé à la liberté d’emmener mon kayak
partout où je voulais en conduisant une voiture. Mes voitures ont eu de
l’importance car elles me permettaient d’aller sans attendre vers les rivières.
C’est aussi vers cette période que j’ai commencé à pagayer seul quand
personne ne voulait m’accompagner. J’ai ainsi dû faire seul beaucoup de
rivières dont des premières très difficiles. Mais si tu attends que tout aille
bien pour faire quelque chose, tu ne fais jamais rien. Chaque fois que tu fais
quelque chose qui sort de l’ordinaire, il est normal que cela tienne avec des
bouts de scotch.
Maintenant je souhaiterai un vrai camping-car, c’est peut-être poursuivre un
mythe ? Cela permettrait de camper en hiver près des pentes à descendre à
ski et en kayakneige, de préférence pas seul. Un peu de confort à offrir, cela
peut éviter d’être seul. C’est mieux pour le « confort affectif »
(quelle horrible notion ! elle sous-entendrait que l’Autre n’aurait qu’un
intérêt utilitaire) et puis, je ne sais pas aussi bien skier que je fais du
kayak et je risque plus de problèmes, mieux vaut être accompagné.
J'ai pagayé avec de nombreuses personnes:
Jean-François Ambal, Jean-Luc Boubals, Patrick Delgado. Patrick a été d’à
peu près toutes les premières dans le massif du Caroux notamment sur les
torrents d’Héric et d’Arles, soit au bord soit dans le kayak, sautant les
chutes les plus impressionnantes. Il a cette liberté d’esprit pour
« s’attaquer » aux torrents jugés impossibles et une idée de
l’humanité qui supporte mal la notion d’opposition.

Quand c'est vraiment très dur, il faut des amis pour
t'aider, te surveiller.
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Patrick Widenmann m'aide à remonter la chute de la tour d'Albine.
Photo de Patrick Delgado |
Chute du Pont des Soupirs
Bob Escudié, son frère Daniel m'assure avec une corde. Un
des très rare passage que j'ai préféré faire encordé.
Au Pont des Soupirs sur le torrent d'Héric, le premier
passage qui était unanimement déclaré impossible.
2
autres équipes ont fait ce torrent depuis, 16 ans
après, et notamment JM.Molinier.
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Alain Nicollet, loueur de canoé à St Guilhem le Désert et grimpeur ayant
ouvert de nombreuses voies difficiles. Nous avons ouvert ensemble toutes les
rivières autour du Mont Aigoual: Le début des rivières comme l'Hérault, l'Arre,
lorsqu'elles sont des torrents dévalant les Cévennes. Il y a longtemps que les
parties plus faciles étaient déjà connues et pratiquées.
J'ai aussi pagayé avec Claude Weisman qui a fondé le club Adhérence Nature:
kayak, escalade et randonnée. C'était génial. Quel type actif dans le bon sens
du terme!
Nous pagayions avec Jean-Christophe Raymond, Denis Groux qui m'a vendu son
ancien camion d'artisan afficheur, que j'ai transformé en camping-car. Grâce à
cela, avec une amie, nous avons pu nous rendre sur des tas de rivière, très
souvent des première, pas très loin de Montpellier: dans les Pyrénées, les
Corbières, les Cévennes, mais plusieurs jours par semaine pendant plusieurs
années.
Nous étions souvent très nombreux avec des pagayeurs d'autres clubs, d'autres
régions dans une excellente ambiance car nous étions ensemble et non pas
opposés.
Cette dernière remarque peut paraître évidente, mais je le précise pour
montrer comment la compétition, l'opposition modifie les valeurs.
Dans cette ambiance, celle aussi des cordées d'alpiniste, de grimpeurs que
nous étions aussi, ça a été une très bonne période.
Elle n'est pas finie.
J'avais fait la première descente de cette Combe de Malafosse sur la Durance
près de Briançon en 1984 en compagnie de Thierry Noël Dubuisson, qui a
fait les photos. Après 1990 c’est devenu une classique de la haute
rivière.

Vers le départ, Martine porte le matériel de sécurité:
un gilet, une corde.
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Il y avait beaucoup d'eau. Et c'était très difficile,
et très exaltant car je réussissais tout.
Un
importateur m'avait prêté un des premier kayak en polyéthilène,
mais l'avait repris après. N'est pas professionnel qui
veut. J'aurai aimé l'être... Mais seul mes films me
rapportaient un peu d'argent et encore seulement parce
que je les produisais.
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Un jour j'ai rencontré au bord de la Combe de Malafosse plusieurs très sympathiques
kayakistes: Antoine de Block, Philippe Ost. Leur état d'esprit amical, comme
leur niveau de navigation est exemplaire.

Philippe Ost arrête Antoine de Block.
C'est l'amitié
que l'on célèbre! Oui c'est une école et un exemple
de vie en société.
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Même avec moins d'eau, même avec des
kayaks plus récents, plus courts, plus volumineux
et plus maniables, cela reste très
difficile. Et toujours sous haute surveillance.
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Nous nous sommes souvent revus bien qu'ils viennent très loin: de Belgique. Il
m'ont fait connaître Gianni Bestagno qui passait son temps libre en voyage à
descendre des rivières.
Mathieu Laudereau est souvent venu dans les Cévennes pour que nous pagayions
ensemble. Il m'a aussi fait descendre toutes les rivières les plus difficiles
de sa région: le Lot.
Je ne sais plus comment j'ai rencontré Jean-Marie Warot, Pierre Bornerand,
Jean-Louis Audibert, Alain Soulet, Michel Sanchez. Mais nous avons écumé
plusieurs années ensemble les rivières des Cévennes, quelle excellente
ambiance! Jean-Marie a dit un jour: "Moi, je n'en veux à personne".
Nous avons fait ensemble au moins 2 premières: Les Gorges du Gardon de St
Germain de Calberte, et avec Pierre Bornerand seul, la partie basse du
Cabrils, torrent qui coule dans les Pyrennées Orientales au fond d'une gorge de
300 m. de profondeur, accessible seulement en 2 ou 3 endroits.
Plus récemment, j'ai fait la connaissance de José Valverde, Pierre Vilcourt.
Ensemble nous pratiquons le squirt boat, un kayak d'acrobatie et que l'on
arrive à couler complètement dans les remous! On réapparaît après quelques
secondes, ils aiment quand elles sont longues.
Ils sont si sympathiques que je me demande pourquoi ils tiennent à garder une
importance imaginaire à leur pratique en organisant des compétitions si mal
définies, au nombre de participants si restreints, si rares, si amicales, sans
remise de prix ni gloire, qu'elles n'ont plus de compétition que le nom, c'est
sans doute pour cela qu'elles gardent une certaine humanité.
La figure emblématique du Squirt Boat, Jim Snyder (américain) pense aussi que
le plus important est l'amitié et dans la compétition organisée chaque année au
Japon où il est invité, on remet le premier prix, non pas à celui qui a fait
les plus difficiles figures, mais à celui qui a donné l'impression de plus
s'amuser.
Mon ami David Chapelon.
Nous descendons ensemble les rivières
les plus pentues autour du Mont Lozère où il habite, c'est ma deuxième maison,
et elle s'appelle Le Refuge.
Seule maison rose et avec une véranda, elle a caché des gens de religion
protestante du temps de l'opposition entre catholique et protestant.
L'opposition décidément ce n'est pas mieux dans la société qu'en compétition,
comme si avec un peu de bonne volonté, on n'arrivait pas à s'entendre et vivre
ensemble. Heureusement, maintenant catholique et protestant s'entendent bien.
Puis pendant les guerres, les époux Guin, dans cette maison ont caché des
résistants et des personnes de religion juive. Quels tristes épisodes
passés basés sur l'opposition.
Comment peut-on croire qu'apprendre aux jeunes à s'opposer en compétition leur
apprendrait à vivre ensemble dans la société?
David a dit: "Vouloir être le meilleur ce n'est pas bon" et
"Tant qu'il y aura des compétitions il y aura des
guerres".
On peut venir tous au refuge, il n'y a jamais trop d'amis.
L'hiver nous faisons du KayakNeige et skions sur tous les sommets et les pentes
de la région. Le reste du temps du kayak. David fait de très belles
photos, de kayak, d'insectes et de fleurs et est parfois derrière la
caméra, parfois devant dans la production de nos films.
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